L’Âme brisant les liens qui l’attachent à la terre de Pierre-Paul Prud’hon offert au
musée du Louvre par la Société des Amis du Louvre

Décembre 2019
Le musée du Louvre annonce l’acquisition, pour le département des Peintures, de L’Âme brisant les liens qui l’attachent à la terre peint par Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823) entre 1821 et 1823.
Offerte par la Société des Amis du Louvre, dernière grande composition de l’artiste encore sur le marché, classée Trésor national en 2018, elle contribue à voir sous un nouveau jour les dernières créations de Prud’hon en apportant, par la grâce lumineuse de L’Âme, un complément personnel aux deux commandes religieuses exécutées au même moment pour l’État : le Christ mort et l’Assomption (toutes deux au Louvre). Il s’agit de la synthèse ultime des recherches esthétiques et allégoriques menées par Prud’hon autour du thème de la transition du monde terrestre au monde céleste.


Entrepris en 1821, L’Âme brisant les liens qui l’attachent à la terre se trouvait encore dans son atelier lorsque Prud’hon s’éteignit, le 16 février 1823. Le sujet de cette toile est la mort même, comprise comme la délivrance de l’âme qui s’échappe de son enveloppe charnelle ; celle-ci est symbolisée par un drapé rouge sanglant, battu par la violence des éléments terrestres (l’écume des flots) et rongé par l’Envie symbolisée par un serpent. Il s’agit de la dernière allégorie et du dernier nu féminin peints par Prud’hon, genres par lesquels il s’est distingué et illustré tout au long de sa carrière. L’Âme constitue, tant par son format que par l’originalité du sujet, un élément considérable pour illustrer la force d’invention singulière de Prud’hon.
Conçue en dehors de toute commande, l’oeuvre a tôt été interprétée comme un testament pictural de Prud’hon, dans le contexte sombre de ses dernières années d’existence. Après le suicide de Constance Mayer, collaboratrice et compagne, le 26 mai 1821, l’artiste disait aspirer à la délivrance que lui apporterait la mort. Les témoignages rapportent son abattement moral, encore accentué par des embarras financiers et familiaux. Toutefois, l’idée du tableau pourrait être antérieure à la disparition de Constance Mayer, et s’inscrire dans une perspective plus institutionnelle : Prud’hon n’avait pas été en mesure de répondre à certaines commandes officielles récentes, et aurait pu en revanche être motivé par l’inauguration récente du musée royal des artistes vivants en 1818 pour proposer à la direction des musées royaux un grand tableau allégorique.

Prud’hon renouvelle avec originalité l’iconographie de l’âme, tombée en désuétude depuis la Renaissance. Le recours à une figure humaine s’inscrit dans la tradition de l’art funéraire romain antique : sur les reliefs de sarcophages, l’âme quittant le corps du défunt prend régulièrement la forme d’une petite figure nue s’échappant par la bouche du défunt – souffle et âme, en latin, se traduisent en effet tous deux par anima. Cette iconographie fut adaptée et transposée aux représentations funéraires chrétiennes. Souvent associées à des scènes d’agonie ou de martyr, ces représentations ont quasiment disparu après le XVIe siècle.

Lorsque Prud’hon vient à travailler à L’Âme vers 1820, le sujet est rare, voire inédit, mais s’inscrit dans son abondante production de compositions précédentes ayant pour sujet l’ascension céleste d’une figure féminine : citons Diane implorant Jupiter de ne pas l’assujettir aux lois de l’hymen (1803, salle de Diane, musée du Louvre) ou L’Assomption (Salon de 1819, musée du Louvre) . C’est toutefois Psyché enlevée par les zéphyrs (1808, musée du Louvre) qui fournit le point de comparaison le plus fructueux. Sujet mythologique et érotique, la Psyché de Prud’hon reflète une conception néoplatonicienne de l’âme, dont l’accomplissement et l’élévation (comprise comme un ravissement, enlèvement et plaisir) sont favorisés par l’eros.
L’Âme brisant les liens qui l’attachent à la terre s’inscrit en revanche dans une conception davantage teintée de christianisme : la beauté idéale de l’âme, reliée à Dieu, est opposée à la laideur, au malheur et à la corruption qui caractérisent la vie terrestre dont la séparation est dès lors interprétée comme une délivrance. Cette opposition, conjuguée au motif de l’envol d’une femme pourvue d’ailes d’oiseau, permet d’avancer l’hypothèse selon laquelle Prud’hon emprunte en définitive moins aux représentations antiques de l’âme qu’à l’iconographie de la victoire. Or à partir de la Renaissance, si le motif de l’âme s’échappant du mort s’est éteint, les artistes ont en revanche de la Victoire ou de la Renommée. On pense tout particulièrement aux peintres italiens du XVIIe siècle tels Guido Reni ou Francesco Romanelli, dont Prud’hon retient aussi les physionomies graciles, les carnations froides et laiteuses. Le peintre subvertit et enrichit le thème de l’âme s’échappant du corps. Il ne s’agit pas seulement d’une délivrance ou d’une renaissance, mais aussi d’une victoire : l’âme finit par triompher des souffrances qui affectent la vie terrestre.

L’allégorie néoclassique de la victoire, omniprésente dans les beaux-arts et les arts décoratifs français au service de la propagande politique impériale, fait donc ici l’objet d’une adaptation toute personnelle dans le contexte postnapoléonien, mais aussi en marge des conventions iconographiques chrétiennes que Prud’hon adapte simultanément, dans le cadre des commandes que lui passe le régime de la Restauration autour de 1820. En 1816, Prud’hon avait reçu commande d’une Assomption pour la chapelle du Palais des Tuileries, achevée pour le Salon de 1819 (musée du Louvre). Le 21 décembre 1821, c’est un Christ sur la Croix (musée du Louvre) qui lui est demandé pour la cathédrale de Strasbourg. La genèse de l’Âme se situe exactement entre ces deux commandes royales et a sans doute bénéficié des réflexions développées à cette occasion.

Enfin, ce tableau représente un sommet de la science acquise par Prud’hon à propos du nu féminin : elle répond au défi artistique de l’incarnation, paradoxale lorsqu’il s’agit de peindre l’âme, souffle vital distinct de l’enveloppe charnelle. Plusieurs études témoignent du travail préparatoire d’après le modèle vivant. La différence majeure entre les dessins et la composition finale réside dans le traitement du modelé du corps. Dans celle-ci, la dépigmentation radicale de la carnation et la vive lumière blanche atténuent les effets de réel ; le modelé est durci au profit d’un clairobscur marqué qui accentue le caractère surréel de la lumière qui irradie la figure. Par l’exaltation du contour au détriment du modelé, Prud’hon procède ainsi à un travail de sublimation dont le ressort n’est pas seulement esthétique et allégorique : s’y noue l’enjeu paradoxal du tableau – donner corps à ce qui en principe s’y oppose –, exigeant de transcender les propriétés et les limites de cette matérialisation.
 
                                                          
Fondée en 1897, la Société des Amis du Louvre est l’un des premiers mécènes du musée. Avec plus de 65 000 membres, elle rassemble tout le public fidèle du musée du Louvre en offrant au plus grand nombre la possibilité de participer à l’enrichissement des collections nationales. Depuis 2016, la Société des Amis du louvre est présidée par Louis-Antoine Prat.

Plus d’informations : amisdulouvre.fr
 
INFORMATIONS PRATIQUES
Horaires
: de 9h à 18h, sauf le mardi.
Nocturne mercredi et vendredi jusqu’à 21h45.
Tarif d’entrée au musée : 15 €.
Réservation d’un créneau horaire pour un accès en moins de 30min : 17 €.
Achat en ligne : ticketlouvre.fr
Renseignements, dont gratuité : louvre.fr

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Céline Dauvergne
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Tél. +33 (0)1 40 20 84 66