AUX CÔTES DES MUSEES UKRAINIENS
La guerre qui s’est abattue sur l’Ukraine depuis le 24 février 2022 continue de faire peser une lourde menace sur les musées et le patrimoine de cette nation à l’histoire millénaire, dont les richesses sont plus que jamais en danger.
Par son action, le musée du Louvre entend contribuer à la sauvegarde et à la lutte contre le trafic illicite des biens culturels ukrainiens. C’est pour répondre à cet impératif que les équipes du Louvre collaborent depuis décembre 2022 avec leurs homologues du musée national des arts Bohdan et Varvara Khanenko de Kyiv pour permettre, dans le plus grand secret, le transfert en France de seize oeuvres parmi les plus emblématiques des collections nationales ukrainiennes.
Cette opération, inédite par sa nature et son ampleur, marque le soutien résolu de la France en direction des professionnels ukrainiens de la Culture, qui déploient quotidiennement une énergie et une créativité sans commune mesure pour faire face aux conséquences de la guerre. Elle a été conçue en partenariat avec l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (ALIPH), qui depuis le début de la guerre est pleinement engagée en faveur de la sauvegarde du patrimoine ukrainien. L’exposition Aux origines de l’image sacrée. Icônes du musée national des arts Bohdan et Varvara Khanenko de Kyiv présente cinq des seize oeuvres transférées en France : quatre icônes peintes à l’encaustique sur bois des VIe et VIIe siècles provenant du monastère de Sainte-Catherine du Sinaï et une icône constantinopolitaine en micromosaïque de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle, ornée d’un remarquable encadrement d’orfèvrerie.
La réunion de ces cinq icônes montre tout à la fois l’héritage antique dans lequel la civilisation byzantine trouve ses fondements et le rapport à l’image profondément original qu’elle instaure, et qui caractérise l’expression artistique des Chrétientés en Orient. Elle annonce avec force les enjeux du département des Arts de Byzance et des Chrétientés en Orient récemment créé au sein du musée du Louvre.
Parce qu’ils n’ont pas encore livré tous leurs mystères, ces chefs-d’oeuvre de l’art sacré feront ensuite l’objet d’analyses et d’études approfondies. Un comité international, composé de scientifiques ukrainiens et de spécialistes internationaux du domaine, accompagnera cette recherche très attendue.
Préfigurant l’ouverture du nouveau département en 2027, cette exposition est tout autant un vibrant manifeste de la force des images dans l’art byzantin qu’un hommage appuyé à la richesse des collections nationales d’Ukraine et au professionnalisme de nos collègues qui oeuvrent avec courage à la protection de ce patrimoine universel.
LE MUSEE NATIONAL DES ARTS BOHDAN ET VARVARA KHANENKO DE KYIV
Le musée national des arts Bohdan et Varvara Khanenko de Kyiv est la plus importante institution ukrainienne dédiée à l’histoire de l’art universel. Il conserve environ vingt-cinq mille oeuvres antiques, byzantines, européennes et asiatiques. La collection du musée doit son origine aux entrepreneurs, amateurs d’art et philanthropes ukrainiens Bohdan et Varvara Khanenko. Ces derniers ont fait leurs premières acquisitions durant leur voyage de noces en Italie, en 1874. Les époux avaient souhaité, dès l’origine, réunir une collection éclectique, pour eux-mêmes mais avec le projet, à terme, de mettre à disposition la collection pour le plus grand nombre.
À l'origine du musée : Bohdan et Varvara Khanenko, un couple d'amateurs éclairés
Durant plus de quarante ans, Bohdan et Varvara Khanenko ont voyagé pour enrichir leur collection, en Europe (Paris, Varsovie, Vienne, Berlin, Rome, Madrid), en Chine (Harbin) et probablement en Égypte (Le Caire). Ils acquièrent des oeuvres d’artistes tels qu’Élisabeth Vigée Le Brun, Jean- Baptiste Carpeaux, Juan de Zurbarán, Jacopo del Sellaio, Jacob Jordaens ou Pierre Paul Rubens. Durant l’un de leurs voyages, ils acquièrent également l’icône en micromosaïque byzantine représentant saint Nicolas, datée de la fin du XIIIe siècle, qui est présentée dans l’exposition.
Les Khanenko ont considérablement soutenu le développement de l’artisanat ukrainien, collectionné les icônes et financé des recherches archéologiques à travers le pays. Les trois mille cent quarante-cinq objets archéologiques de leur collection ont formé la base du musée des Arts, de l’Artisanat et des Sciences de Kyiv (aujourd’hui musée national d’Art d’Ukraine). Bohdan Khanenko a contribué financièrement et participé à sa fondation en 1899. Le couple a favorisé le développement du réseau muséal ukrainien, puisqu’ils ont contribué à la création de cinq musées nationaux actuels.
La majeure partie de leur collection, cependant, reste dans leur manoir familial au centre-ville. À la mort de Bohdan Khanenko, en 1917, la collection est léguée avec le bâtiment à la ville de Kyiv. Sa veuve demande la protection de l’Académie ukrainienne des sciences, ce qui confère au nouveau musée une fonction de centre de recherche en histoire de l’art. Ses premiers conservateurs publient en français et dans d’autres langues européennes et entretiennent des liens étroits avec des collègues internationaux.
Avec l’avènement du régime soviétique, le souvenir des Khanenko est supprimé du nom du musée. On considère alors que les collectionneurs n’ont « apporté aucune contribution à la culture prolétarienne ». L’institution s’est réapproprié les noms des fondateurs après le rétablissement de l’indépendance de l’Ukraine en 1991.
L'acquisition des quatre icônes du mont Sinaï
Depuis sa fondation, le musée a subi d’importantes pertes. Néanmoins, plusieurs enrichissements notables ont également été apportés à la collection. Ainsi, les quatre icônes exceptionnelles présentées au musée du Louvre ont été affectées au musée en 1941, provenant de la collection du Musée antireligieux. Ce dernier a été créé par le gouvernement soviétique en réunissant les fonds de plusieurs institutions, parmi lesquels celui de l’ancienne Académie ecclésiastique de Kyiv. En 1885, ces icônes avaient été léguées au Musée ecclésiastique et archéologique de cette académie par le prieur de la cathédrale Saint-Michel, l’archimandrite Porfyrii Uspensky, qui les avait obtenues au cours d’une de ses expéditions au mont Sinaï.
Aujourd'hui
Après avoir survécu aux deux conflits mondiaux du XXe siècle, le musée Khanenko vit aujourd’hui la troisième guerre de son histoire. Dès le début de l’invasion russe, sa collection a été mise à l’abri et le bâtiment est actuellement vide. En octobre 2022, le bâtiment historique et ses décors intérieurs ont été endommagés par un tir de missile, tombé à quarante mètres de ses murs.
Grâce aux efforts dévoués de l’équipe et à l’aide importante provenant de l’intérieur et de l’extérieur du pays, le musée continue de jouer son rôle institutionnel et entretient un dialogue perpétuel avec son public.