La découverte de cette œuvre, alors que la recherche la plus récente s’efforce de démêler le corpus attribué à Josse Lieferinxe et de réévaluer les liens entre la Bourgogne et la Provence, enrichit en même temps qu’elle rend plus complexe notre appréhension de l’art en France et de ses divers courants vers 1500. Elle constitue un jalon méconnu de l’histoire de la peinture française que le musée du Louvre peut désormais faire découvrir à ses visiteurs.
Il s’agit sans doute du dernier élément du volet droit d’un retable consacré à la Vie de la Vierge, dont le musée du Louvre possède déjà deux fragments : une Adoration de l’Enfant et une Visitation, offerte par les Amis du Louvre en 1991. Les analyses effectuées par le laboratoire du C2RMF ont confirmé l’excellent état de conservation de ce panneau de noyer, aujourd’hui très jauni et encrassé. Il possède les mêmes dimensions que les autres éléments du retable conservés au musée du Petit Palais d’Avignon (Annonciation et Circoncision) et aux musées royaux de Bruxelles (Mariage de la Vierge) – ceux du Louvre ayant été recoupés au XIXe siècle – mais il partage également avec eux une semblable ordonnance qui associe un épisode de la vie de la Vierge sur la face à une figure de saint au revers, représenté en pied devant un fond de brocart.
Cette Assomption présente une composition très soignée, que la restauration permettra de mieux apprécier : autour d’un tombeau en marbre se pressent les apôtres et parmi eux saint Thomas recueillant la ceinture de la Vierge. La force narrative de l’événement est permise par la grande expressivité des figures, la virtuosité du peintre résidant surtout dans l’exécution magistrale des visages fortement individualisés, qui font songer à des portraits : ils expriment chacun à leur manière les émotions – stupeur, tristesse ou crainte –, suscitées par la vision de la montée au ciel de la Vierge.
On retrouve dans cette œuvre la monumentalité des silhouettes charpentées, enveloppées dans de grands manteaux, la simplicité des volumes, autant d’éléments clés pour définir l’esthétique provençale de la fin du siècle, et qui participent effectivement de la caractérisation des œuvres données à Lieferinxe, documenté à Marseille et à Aix de 1493 à 1508, date de sa mort.
Néanmoins, l’agitation dramatique de la scène, l’ampleur des drapés des vêtements – ceux des deux apôtres agenouillés au premier plan en particulier – ou encore une certaine souplesse dans l’agencement des figures rappellent fortement la peinture bourguignonne.
Ces tensions stylistiques font ainsi songer au peintre dijonnais actif à Avignon Jean Changenet, qui fit le lien entre sa patrie d’origine et l’art de Lieferinxe car il continua depuis la Provence à exécuter des commandes pour la cité bourguignonne.
Il appartient à une dynastie de peintres actifs principalement à Dijon dont on connaît trois générations entre le milieu du XVe siècle et le début du XVIe siècle. Les Changenet font figure de mythe pour les spécialistes de la peinture de cette époque, tant ces derniers se sont efforcés d’associer à ces peintres – dont les textes rappellent l’extraordinaire réputation et les prestigieuses commandes – des œuvres parvenues jusqu’à nos jours.