Le musée du Louvre acquiert un rare double dessin de Goya

1er décembre 2022
Le musée du Louvre a acquis, pour le département des Arts graphiques, un double dessin de Francisco de Goya (1746-1828), mettant en scène, au recto, La Tante Chorriones attise le feu, et au verso, La Femme demande des comptes au mari. Ces pages au lavis de sépia sont issues de l’album «B» dit « de Madrid », une série capitale, exécutée entre 1796 et 1797. Cette acquisition majeure, qui montre la toute première illustration de la thématique des sorcières dans l’œuvre de Goya, a été conduite par préemption, en vente publique auprès d’Auction Art à l’hôtel Drouot. Après être passé entre les mains du fils de l’artiste, Javier, puis de son petit-fils Mariano, ce dessin connut plusieurs propriétaires successifs, comme le peintre Federico de Madrazo et le marchand Alfred Strölin. Il était conservé en France dans la même collection particulière depuis 1957.

A la mort de Goya en 1828, 539 dessins demeuraient conservés dans huit carnets. Si cet ensemble est aujourd’hui démembré, les historiens de l’art se sont attachés à déterminer ce qui était regroupé dans chacun des carnets et à restituer l’ordre des dessins. L’album B auquel appartient le dessin nouvellement acquis avait été commencé en 1796 en Andalousie. Il fut achevé à Madrid en 1797. Exécuté sur du papier hollandais, il réunissait des scènes de vie quotidienne, sujets de délassement ou de courtoisie, et à partir de la page 55, tout un ensemble de caricatures et de thèmes ironiques accompagnés de titres dénonçant la stupidité et le pêché. Sur l’ensemble des dessins de l’album B, un peu moins d’une centaine, quatorze servirent à l’artiste pour sa série des Caprices gravée à l’eau-forte, à l’aquatinte et à la pointe sèche. Œuvre emblématique du maître critiquant le comportement humain et donnant la part belle aux visions délirantes de figures étranges, la série des Caprices était achevée le 17 janvier 1799. L’album B a permis au maître de s’exercer au monde des grimaces, de la laideur et du grotesque, et pour la première fois, de la sorcellerie, soit des thèmes qu’il souhaitait empreints de morale et qui allaient nourrir le reste de son œuvre. L’album B contient ainsi les deux premiers dessins à sujet de sorcières dans l’œuvre du maître. Il est aussi celui qui accorde pour la première fois une place majeure aux mots. A partir du dessin 55, les feuilles sont en effet légendées, parfois d’un simple mot, à l’exemple de « Mascaras », « Brujas » ou « Caricat », puis de plusieurs mots et de courtes phrases à la fois descriptives et humoristiques. 

Bien connue des spécialistes de Goya et publiée à de nombreuses reprises, la feuille double acquise par le musée du Louvre compte parmi les œuvres emblématiques de l’album. Au verso, correspondant à la page 90, le sujet a pour légende « Caricat » avec en complément « Le pide cuentas la mujer al marido » ("La femme demande des comptes au mari"). La scène se veut grotesque. Une femme au profil camus semble accabler de reproches un homme difforme dont le nez a l’aspect d’un sexe. Celui-ci plonge une main dans son habit et l’autre dans l’ouverture de sa culotte. Au-devant, un troisième personnage au visage tout marqué de bêtise, fait de sa main gauche le signe des cornes et révèle ainsi le caractère volage de son compagnon. 

Au recto, illustrant la page 89, la légende mentionne « Brujas » et est complétée de l’annotation « La tia chorriones enciende la Oguera » (« La tante Chorriones attise le feu.»). Avec celui de la page 88 décrivant des sorcières prêtes à voler, le dessin constitue la première illustration de la thématique des sorcières et annonce les nombreux sujets moralisateurs des « Caprices. Goya donna deux versions du sujet, qui lui servirent pour l’estampe 69 des Caprichos : le dessin de l’album B et celui conservé au musée du Prado. Mettant en scène la « tía Chrorriones » qui se sert d’un enfant comme d’un soufflet pour attiser un brasero contenant des ossements, le sujet fait à la fois référence au thème des passions brûlantes et des pratiques illicites imposées aux petits enfants par leurs aînés et au proverbe populaire : « El hombre es fuego, la mujer estopa, venga el diablo y sopla » (« L’homme est feu, la femme paralyse, vient le diable et il attise.»). Il est intéressant d’avoir conservé les trois œuvres, dessins préparatoires et estampe, car le processus de création du maître est ainsi parfaitement illustré.

Œuvre clé, l’album B était jusqu’à ce jour représenté dans les collections du Louvre par deux autres pages double face, l’une décrivant une scène de torture (« Es dia de su santo ») et au verso un sujet de caricature, l’autre la terrible image de la vieille femme découpée à la scie (« Parten la vieja ») avec au verso un sujet d’hermaphrodite. La feuille acquise par le Louvre a pour intérêt d’être parfaitement documentée et de présenter un sujet différent sur chacune de ses faces. Contrairement à plusieurs autres dessins du maître, la feuille est restée dans son état d’origine et n’a pas été traitée afin de retrouver la blancheur du papier. L’acquisition de cette troisième page est un enrichissement majeur. 

 

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Céline Dauvergne
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