Retour en salle de "La Liberté guidant le peuple" restaurée

30 avril 2024

Icône française devenue symbole universel de l’idée qu’elle incarne, La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix (1798-1863) est probablement le tableau le plus célèbre du Louvre après La Joconde.
Après six mois (d’octobre 2023 à avril 2024) d’une restauration réalisée par Bénédicte Trémolières et Laurence Mugniot, consistant essentiellement en un allègement des couches de vernis oxydés et encrassés qui étouffaient la palette particulièrement tenue et subtile de Delacroix, il est rendu au public le jeudi 2 mai, dans la salle Mollien.

« Restaurer le patrimoine que nous conservons pour le transmettre au plus grand nombre est l’une de nos missions les plus fondamentales. Grâce au patient travail accompli par Bénédicte Trémolières et Laurence Mugniot, La Liberté guidant le peuple a aujourd’hui retrouvé l’éclat, la fraîcheur et la merveilleuse harmonie de couleur si propre à Delacroix. Je me réjouis que nos visiteurs puissent découvrir ou redécouvrir cet immense chef-d’œuvre de la peinture du XIXe siècle, tout à la fois icône universelle, symbole de notre pays et ambassadrice de sa culture et de son histoire. » Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre 

« Depuis sa création, il y a presque deux siècles, la force expressive de La Liberté guidant le peuple de Delacroix n'a jamais faibli, devenant le symbole de nombreuses luttes de libération de par le monde. Elle fait partie de ces rares œuvres qui toujours "se rechargent" en fonction du contexte politique, social, culturel dans lequel on la regarde. La restauration que nous avons menée lui redonne pleinement cet élan. » Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du musée du Louvre

 

L’ENJEU DE LA RESTAURATION : RETROUVER LE GÉNIE CHROMATIQUE DE DELACROIX

Eugène Delacroix est le peintre qui exploite au maximum toutes les propriétés de la matière colorée : il mise d’une manière particulièrement originale sur la juxtaposition de couleurs pour modeler ses volumes, animer ses ombres, il joue des états de la matière – granuleuse, crémeuse, liquide – pour étager ses plans, suggérer les textures, créer des transparences. Or ce sont précisément ces trouvailles qui sont annihilées par l’assombrissement et le jaunissement d’épais vernis.

L’amincissement de ces couches de vernis a d’abord rendu à l’oeuvre son tonus : les contrastes sont vigoureux, la froideur générale revient, l’illusion tridimensionnelle est restituée. Les personnages se détachent à nouveau les uns des autres selon les plans que leur a assignés l’artiste. Par exemple, on prend conscience que le gamin armé de pistolets (souvent surnommé « Gavroche », bien que ce personnage hugolien soit bien postérieur) court en avant de la Liberté, et non à côté d’elle. On redécouvre ensuite la richesse de la composition : loin de se résumer au trio central (la Liberté, son drapeau et son jeune compagnon), le tableau fourmille de détails. Delacroix n’a rien négligé, jusqu’à la périphérie du tableau. Personne n’avait par exemple pris garde, avant la restauration, au soulier de cuir usé, abandonné dans l’angle, tout en bas à gauche. Il n’était ni caché ni recouvert de repeints : l’écran des vernis l’avait tout bonnement fondu optiquement avec les pavés. Idem pour les immeubles visibles à l’extrémité droite : chaque façade se différencie de la voisine, des coups de feu partent des fenêtres, les échanges de tirs avec la troupe sont matérialisés par de minuscules stries roses dans la confusion des fumées.

La principale surprise a été la tunique de la Liberté, que l’on croyait uniformément jaune. Lors d’un premier test effectué en bas de cette tunique, on découvrit avec étonnement qu’elle était gris clair. En étendant le nettoyage, les restauratrices Bénédicte Trémolières – forte de l’expérience de la restauration des Femmes d’Alger dans leur appartement en 2021 – et Laurence Mugniot ont mis en évidence le fait que Delacroix a effectivement peint l’ensemble de cette robe en gris, avant d’ajouter du jaune vif en différentes densités, très couvrante au niveau du buste, puis de plus en plus fragmentaire en descendant le long des jambes. Cet aspect volontairement dégradé – ou plutôt délavé puisque l’on parle d’une pièce de vêtement – n’avait plus été compris au cours du XXe siècle ; aussi la dernière restauration, en 1949, avait-elle cherché à uniformiser la teinte de la robe, en maintenant une couche épaisse de vernis sur toute sa surface, et en ajoutant des rehauts orangés dans les plis et les contours. Une fois retirés ces repeints très solubles, on a pris conscience que ce dégradé jaune est fait pour sublimer le buste de la Liberté. Sa poitrine est encadrée par le jaune pur de son bustier, en bas, et par le nimbe doré placé juste derrière sa tête, désormais bien distinct de la fumée blanche présente ailleurs. C’est le point le plus chaud de tout le tableau, complément aux deux autres couleurs primaires omniprésentes, le bleu et le rouge.

On mesure l’ascèse chromatique à laquelle Delacroix s’est astreint, avec une rigueur inédite. Pour s’adapter à son sujet, il a volontairement évincé de sa palette le vert, l’orangé et le violet. Il a bâti sa composition en exploitant toute la gamme des gris colorés, du blanc le plus pur (le reflet de la cuirasse en bas à droite) jusqu’au noir le plus profond (le gilet du gamin). Sur cette trame en apparence austère, mais riche de nuances, il fait chanter les trois couleurs nationales bleu-blanc-rouge ; en dernier lieu, il remédie à la trop grande froideur du résultat par ce jaune d’or qui présente aussi l’avantage d’évoquer le caractère allégorique, quasi divin, de la Liberté. Le bleu, le blanc et le rouge font en effet leur retour triomphant, en ce 28 juillet 1830 (il faut se rappeler que le titre complet donné par Delacroix à son oeuvre est : Le 28 juillet 1830. La Liberté guidant le peuple) après avoir été interdites sous Louis XVIII et Charles X. Indissociable de l’idée de liberté et de révolution dans le coeur de Delacroix, cet hymne aux trois couleurs est le vrai sujet du tableau. Cette interaction constante entre les nécessités du sujet et celles de la couleur, qui fait tout le sel et la réussite du tableau, est maintenant parfaitement intelligible. 

Pour plus de précisions, vous pouvez télécharger le communiqué de presse ci-dessous.

 

La conférence que Sébastien Allard, directeur du département des Peintures, a donnée à l'auditorium Michel Laclotte sur le bilan de dix ans de grandes restaurations au département des Peintures est à retrouver ici.

Elle inclut une présentation du travail mené sur La Liberté guidant le peuple, par Côme Fabre, conservateur en charge des peintures du XIXe siècle, Bénédicte Trémolières et Laurence Mugniot, restauratrices.

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